« Le combat contre le système colonial a été remporté de haute lutte grâce au courage de tous les militants ; mais désormais, c’est un autre combat que nous allons engager. Il est aussi difficile sinon plus difficile que le premier. »
(Modibo Keita)
Un environnement hostile
L’œuvre d’édification nationale de Modibo Keita et son action pour la paix, furent récompensées par le Prix Lénine international en 1963. Pourtant le pari était loin d’être gagné car la création du Mali dans le contexte de l’époque représentait un véritable défi : L’environnement était indéniablement hostile.
le premier handicap était géographique : le Mali est un pays continental menacé par le désert. D’autre part, vouloir édifier un pays à option socialiste et anticolonialiste dans un contexte néo-colonial relevait de la gageure. Dans ces conditions les erreurs ne pardonnent pas.
Modibo Keita et son équipe voulaient améliorer le niveau de vie des maliens. Ils voulaient affirmer la souveraineté totale du pays et « débarrasser le peuple des séquelles du colonialisme. »
Tout le monde était conscient des difficultés de la tâche et Modibo Keita le premier. Déjà le 22 septembre 1961, il prévenait : « La transformation qualitative de la société malienne passera par des étapes successives et chacune de ces étapes, connaitra des succès, mais aussi des difficultés. Désormais nous devons compter d’abord sur nous même, sur l’effort créateur de notre peuple » Tous les maliens étaient-ils disposés à fournir cet « effort« ?
Difficultés économiques :
Des problèmes économiques graves vont très vite apparaître :
La primauté de la politique sur la compétence administrative et technique va entraîner un certain attentisme et une démoralisation des fonctionnaires.
L’absence de conviction (voire l’opposition) de certains cadres chargés d’appliquer les décisions prises, aboutira souvent à l’échec des réalisations.
Rappelons qu’au moment de l’indépendance, le pays ne comptait, en tout et pour tout, que quinze (15) cadres ayant fait des études supérieures, dont un (1) pharmacien, deux (2) professeurs, un (1) ingénieur agronome, quatre (4) docteurs..
Pour palier à ce manque, beaucoup de cadres seront formés à la hâte et n’avaient pas toujours les compétences requises.
Le paysan malien ayant une conception de la solidarité différente de celle qu’on lui proposait n’adhérera pas au système coopératif : les champs collectifs seront délaissés et un marché noir va se développer pour la commercialisation des produits agricoles. Ainsi, certaines usines qui devaient utiliser ces produits comme matière première vont avoir des problèmes d’approvisionnement.
D’une manière générale, les « acquis du peuple », les sociétés et entreprises d’État, vont devenir de véritables fardeaux économiques : les problèmes d’approvisionnement, l’incompétence technique de certains cadres, le manque de rigueur et de conviction des gestionnaires, les sabotages par certains opposants qui avaient trouver là un moyen d’affaiblir le régime.
Problèmes politiques :
Ces difficultés économiques vont entraîner une résurrection de l’opposition politique : Le 20 juillet 1962, les dirigeants du P.S.P appellent les commerçants à manifester leur hostilité à la réforme monétaire : Des manifestants accompagnés de badauds se dirigèrent vers le commissariat du premier arrondissement et l’ambassade de France en scandant : « A bas le franc malien, à bas Modibo, vive le Général de Gaulle ».
La belle unité nationale proclamée en septembre 1960 semblait bien loin.
A la suite de ces manifestations, des responsables de l’opposition, Fily Dabo Sissoko(1) , Hamadoun Dicko(2) et Kassoum Touré(3) seront arrêtés, jugés et condamnés par un tribunal populaire. Ils mourront en 1964 dans des circonstances controversées.
Les abus et les exactions de la milice populaire ont largement contribué à la désaffection d’une partie de la population.
Mais toutes les oppositions politiques n’étaient pas aussi affichées que celle du P.S.P : Les tendances à l’intérieur du parti au pouvoir (l’U.S.R.D.A.) vont se manifester. L’aile droite du parti partisan d’une économie libérale va mener une campagne subversive qui va favoriser la destruction de la confiance populaire.
L’aile gauche était animée essentiellement par le syndicat unique (U.N.T.M.) et le mouvement de la jeunesse organisé au sein de la J.U.S.-R.D.A.
Modibo Keita qui jouait le rôle d’arbitre, exprimait clairement ses préférences pour l’aile gauche.
Radicalisation et désaffection populaire
La défaillance économique, La « guerre des clans », la dégradation du militantisme, et la chute du Docteur Kwamé Nkrumah vont entraîner la radicalisation du régime.
Le 1er mars 1966 est créé le Comité National de Défense de la Révolution (C.N.D.R.) doté des pleins pouvoirs.
En 1967 les jeunes de la J.U.S.R.D.A et les syndicalistes de l’U.N.T.M. vont organiser de gigantesques manifestations réclamant un assainissement des structures économiques et une épuration politique. Les municipalités dont la gestion était contestée seront dissoutes.
Le conseil national des jeunes va déclencher « l’opération taxi » et « l’opération villa » : il s’agissait d’une campagne de saisie de véhicules et de lutte contre la spéculation foncière visant les agents de l’état qui présentaient des signes extérieurs de richesse.
Le 22 août 1967 commencera « l’an un de la révolution » et la prise en main du pouvoir par le C.N.D.R: Dissolution du Bureau Politique National puis de l’Assemblée Nationale
La polémique à propos de la création du C.N.D.R.
Le C.N.D.R. a-t-il été créer pour permettre à Modibo Keita « d’exercer un pouvoir personnel » ? Certains n’hésitent pas à l’affirmer. Deux témoins privilégiés des évènements répondent à l’accusation :
Lire la réponse du Dr Gologo Mamadou
« … Quelle drôle de plaisanterie, quelle fascinante et stupide hérésie que d’attribuer grossièrement des mains sales à Modibo Kéïta parce qu’il «aurait dissout le BPN USRDA et l’Assemblée Nationale !». Les tenants et défenseurs de ce mensonge monstrueux (il est si facile de le deviner) n’ont jamais milité au sein de notre Parti. Ils en ont été les ennemis irréductibles jadis (procolonialistes et descendants) et le resteront toujours. Comme des crapauds, ils coassent toujours la même rengaine. Un pavé dans la mare les fait taire, mais ils reprennent instinctivement la même chanson sitôt un silence imposé ! La dissolution du Bureau Politique National de l’USRDA et de l’Assemblée Nationale est une décision (après analyse serrée et correcte) voulue par la jeunesse masculine et féminine du Parti, sur la base des rapports et PV de réunions statutaires provenant de toutes nos sections. La légèreté, le situationnisme, la démagogie, le harcèlement, la vénalité, l’oppression dictatoriale avaient fini par frapper à nos portes. Bien de nos Secrétaires généraux, Députés, Maires et autres délinquants camouflés avaient sacrifié les intérêts du peuple au profit des leurs propres. De Parti de Gauche, nous glissions inexorablement vers une droite cupide et réactionnaire. II fallait réagir devant ce danger déjà à moitié envahisseur. Donc les jeunes, fer de lance de toute bonne pratique politique, soutenue par l’immense majorité du peuple et autres nombreuses consciences patriotiques devinrent spontanément adeptes d’une remise en cause volontaire du Parti dans son ensemble. D’autres camarades du BPN ( Mahamane Alassane Haïdara, Madéïra Kéïta, Ousmane Ba, Modibo Kéïta Secrétaire Général et moi-même, adhérâmes à la solution proposée. Lors d’une réunion tenue à l’ENA, le BPN avec son porte-parole Modibo Kéîta demanda à une délégation de la Cour Suprême conduite par son Président s’il était possible au Président de la République et Chef de l’État de dissoudre l’Assemblée : la réponse à la question fut positive. Pourtant constitutionnellement, il pouvait se passer de cette demande démocratique d’autorisation. L’USRDA n’a pas été et ne deviendra jamais un parti pourri, complice de pillage des biens de l’État et du peuple travailleur. II ne tolérera jamais en son sein des délinquants de quelque sorte et rang soient-ils ! Parti des hommes intègres, courageux, il n’a pas accepté la quiétude facile d’un pouvoir qu’il détenait absolument dans tous les domaines. Accepter dans pareilles conditions de se remettre en cause pour rendre justice au peuple souverain procède d’un patriotisme indiscutable, d’une témérité irréprochable. … » Dr Gologo Mamadou El Béchir Médaillé d’Or de l’Indépendance Commandeur de l’Ordre National Président d’honneur de l’USRDA
Lire la réponse de Amadou Seydou Traoré
» Concernant la situation que l’US RDA et le Mali ont vécue en 1967, il serait très utile de se reporter aux faits. Il est bon de rappeler que l’année précédente, exactement le 1er mars 1966 s’est tenue à Bamako une Conférence nationale des cadres pour examiner la situation créée en Afrique et dans le monde après le Coup d’État qui a renversé le parti CPP et le Président Kwamé NKRUMAH au Ghana. Devant 800 délégués venus de toutes les régions de notre pays et de l’extérieur, l’idée de prise de mesures pour éviter chez nous ce qui venait de se produire au Ghana, en Algérie, et en Indonésie a prévalu. La Conférence a décidé de la création du CNDR (Comité National de Défense de la Révolution) qui fut doté des pleins pouvoirs par le BPN (Bureau Politique National) lui-même. Le CNDR était chargé de prendre toutes les mesures utiles à la sauvegarde et au renforcement de l’œuvre de construction nationale au Mali, conformément à l’option socialiste du 22 septembre 1960. A ce niveau deux observations: 1 – Les propositions de constitution d’un CNDR sont venues des syndicats et de la jeunesse principalement. Le Président Modibo qui n’en était nullement l’inspirateur s’est comporté d’une manière qui le prouve: les commissions de travail du CNDR n’ont vu le jour que le 16- 09- 66 et le CNDR lui-même n’a fait que du travail de pédagogie pendant un an et demi à travers des dizaines de circulaires, de nombreuses réunions et tournées, etc. Rien de plus et les organisations démocratiques n’en étaient pas satisfaites. Leur demande de création du CNDR ne consistait pas à mettre en place un simple bureau de conception et de diffusion de cours de morale politique. Elles voulaient des actions concrètes de sauvegarde et de consolidation de l’expérience en cours. Et elles l’ont fait savoir. Elles ont fini par imposer à travers diverses voies (lettres, motions, marches, représentations théâtrales, etc.), au BPN et au Président Modibo les solutions qu’elles préconisaient 2 – C’est seulement le 22 août 1967, plusieurs mois après la signature des accords monétaires avec la France et les protestations qui s’en sont suivies, y compris à travers les pièces de théâtre de la semaine de la jeunesse, après la marche de la jeunesse sur le siège du parti suivie de la marche des travailleurs, de la marche de l’armée, de la marche des femmes, de la marche des anciens combattants, que le CNDR qui existait depuis un an et demi, a été contraint et forcé de prendre ses responsabilités. A notre connaissance c’est la seule fois qu’on a vu dans notre pays, des officiers et des soldats marcher pour des objectifs politiques. Consultez les archives. Vous constaterez que c’est le BPN qui a donné les pleins pouvoirs au CNDR dès sa constitution et qu’au contraire c’est le Président Modibo qui a toujours traîné les pieds pour appréhender les pouvoirs qu’on lui donnait. Au sujet de l’attitude de Modibo par rapport aux sollicitations et pressions dont il était constamment l’objet, vous pourrez vérifier auprès de tous les membres du Bureau de l’UNTM de l’époque un fait que je m’en vais vous évoquer. A la suite du même coup d’état au Ghana, l’UNTM a rédigé une déclaration très ferme. Avant de l’envoyer à la presse certains membres ont réussi à imposer, après une discussion très serrée, l’idée d’aller chez Modibo pour lui en réserver la primeur. Quand il a reçu cet après-midi là le bureau de l’UNTM et qu’on lui ait soumis le texte en lecture, il nous a dit ceci: «Nkrumah vient de subir un coup d’Etat. Vous de l’UNTM vous vous réunissez et adoptez un texte qui est le vôtre. Vous voulez que je le lise. Pourquoi? Je refuse parce que c’est ainsi que vous fabriquez les dictateurs. Demain, on dira que même la Direction Nationale des syndicats ne pouvait pas adopter une déclaration sans l’aval de Modibo. Je vous demande donc de sortir de chez moi et d’aller vous assumer. Je n’ouvre même pas votre papier, Tenez! Prenez-le!» Et nous sommes sortis tout honteux. Je précise que j’étais membre de la délégation en tant que Secrétaire général d’un des 12 syndicats nationaux, le SNIPIL (syndicat national de l’Information, de la presse et de l’industrie du livre). Le Président Modibo Kéita venait de nous infliger une véritable leçon. Donc si quelques jours après, on met sur pied le CNDR, même que ce soit en Conférence Nationale, même que ce soit démocratiquement et bien que le BPN lui-même lui ait donné les pleins pouvoirs, vous devez comprendre les raisons de la lenteur du Président Modibo à agir, jusqu’au moment où il y a été contraint par la pression des masses et des organisations. Il n’a donc agi que parce qu’en tant que responsable, il était respectueux de la volonté populaire Mettons donc les choses au point: le Président Modibo Kéita n’est ni l’inventeur du CNDR ni celui qui a donné au CNDR les prérogatives qui étaient les siennes. Ce ne serait pas juste de lui imputer ce qui n’est pas de son fait. Le Président Modibo Kéita n’avait aucun penchant pour le pouvoir personnel car, dira de lui le Ministre Madeira Kéita: «c’est à force de fuir la gloire que celle-ci a poursuivi le camarade Modibo, l’a agrippé et a fait de lui l’homme à la disposition de tous…» S’agissant de la mise en vacance de l’Assemblée Nationale et pas sa dissolution car l’Assemblée Nationale n’a jamais été dissoute, il faut là aussi, se remettre dans l’atmosphère du moment pour comprendre de quoi il s’agissait. Les deux termes dissolution et mise en vacance ne sont pas synonymes. C’était l’époque de la «Révolution active», période pendant laquelle les forces vives de la Nation (jeunes, syndicats, femmes, militants en uniforme) étaient mobilisées et exigeaient du Parti et du Gouvernement des actions d’assainissement partout à travers le pays. Le Mali était littéralement en ébullition et le Président Modibo Kéita a dit le 22 septembre 1967: «Les jours que nous vivons sont certes exaltants…En même temps nous devons nous féliciter de ce que les langues se soient déliées. Sur le respect du droit à la critique, l’application de l’autocritique est née et se développera dans toute notre action; celle-ci permettra en même temps de déceler nos faiblesses et nos insuffisances». La mise en vacance de l’Assemblée Nationale fut l’un des événements les plus importants de la « révolution active ». Réunie pour élire son Bureau, c’est l’Assem¬blée Nationale qui s’est mise elle-même en vacance sur l’intervention du groupe parlementaire US RDA dont le porte-parole était le député et Commissaire politique Mamadou Diarrah de Koulikoro. Selon le groupe parlementaire US RDA, la «mise en vacance» de l’Assemblée Nationale était nécessaire parce que: « dans plusieurs circonscriptions administratives, des députés étaient décriés, dénoncés, houspillés et même rejetés par les larges masses populaires. A tort ou à raison, le fait est là, indiscutable et indiscuté ». Partant de cette analyse, la résolution du groupe parlementaire concluait: « Il faut dire aujourd’hui, solennellement que nous ne pouvons plus de manière irréfutable, nous considérer comme les authentiques représentants du Peuple et délibérer en ses lieu et place. Nous ne le pouvons pas et nous ne devons pas le faire. Une seule attitude nous reste : partir et rendre l’ini¬tiative aux masses ». Et c’est le Président Mahamane Alassane Haïdara lui-même qui a soumis la proposition au vote avec l’expression «mise en vacance». Reconnaissons qu’il s’agit là, de la part de l’Assemblée Nationale de la Première République, d’un exemple rarissime de courage politique, de courage tout court devant la vérité. Peu d’hommes en politique, sont capables d’envisager de démissionner de cette manière d’un mandat électoral avant son terme, et seulement sur la base de considérations morales. Disons-le aujourd’hui: les hommes et les femmes députés qui ont démissionné en ce début de l’année 1968, étaient des responsables courageux devant la vérité qui les concernait, des députés comme peu de régimes peuvent en produire. Rendons leur hommage et prenons auprès d’eux, des leçons d’abnégation, de sacrifice, de désintéressement; méditons les grandes leçons qu’ils ont données au peuple Malien et au Monde, à travers leur geste si sublime. Là aussi, ne suivons pas ceux qui calomnient le Président Modibo Kéita qui n’a aucune part dans le «mise en vacance» de l’Assemblée nationale. D’ailleurs, après la décision de «mise en vacance» de l’Assemblée Nationale prise à l’unanimité par les députés, le Président Modibo Keita, condamné de ce fait à gouverner par ordonnance a, conformément à ses convictions démocratiques, aussitôt requis les services de la Cour Suprême pour l’aider à trouver une solution lui évitant de décider avec le seul point de vue du CNDR et du Gouvernement. Nous devons au Doyen Ibrahima Sall alors Président de la Cour Suprême et aux éminents juristes qui composaient cette institution, la solution de nommer par décret «Une Délégation Législative Nationale» composée des Députés n’ayant pas été l’objet de contestation de la part des électeurs de leurs circonscriptions. C’est cette trouvaille relevant du génie créateur de notre Peuple, qui a permis au Président Modibo de disposer d’un organe jouant le rôle de pouvoir législatif. Cette Délégation législative de 28 membres fut chargée des attributions du pou¬voir législatif. Là également faisons trois remarques: 1- Le Président Modibo mis devant le fait accompli de la «mise en vacance» de l’Assemblée Nationale ne s’est pas précipité pour se saisir d’un pouvoir exclusif. Il a au contraire, sollicité et obtenu l’aide compétente de la Cour suprême pour trouver une solution transitoire de rechange. 2- Cette Délégation Législative était présidée par le Président Mahamane Alassane Haïdara. Donc contrairement à ce que vous ont dit vos informateurs, le Président Mahamane n’a jamais été écarté. Il était même en plus, la deuxième personnalité du CNDR. 3- C’est en réaction au Coup d’État au Ghana et à la signature des accords monétaires avec la France que toutes ces décisions ont été prises. Ici, il est bon de dire quelques mots des accords monétaires dont la signature a déclenché un véritable lever de boucliers au sein du peuple malien. Les accords monétaires de 1967 avaient été signés dans de très mauvaises conditions. Ils étaient incontestablement un frein à l’expérience d’édification socialiste qu’avait menée le gouvernement du Président Modibo Keita depuis 1960, de par le pouvoir d’ingérence exception¬nel qu’ils conféraient à la France, mais aussi et surtout à cause de leurs implications dans la politique économique et financière du Mali. La délégation pour les négociations avec la France en vue de la signature des accords monétaires était conduite par Jean-Marie Koné, Ministre d’État chargé de la coordination des affaires économiques et financières. Elle comprenait Louis Nègre, Ministre des Finances, Amadou Diadié Ba Ambassadeur du Mali en France, Sékou Sangaré, Dotien Coulibaly, Tiéoulé Mamadou Konaté, Oumar Coulibaly et Oumar Makalou. Vous remarquerez que tous ces hommes, à part Dotien Coulibaly et Amadou Diadié Ba, ont occupé de très hautes fonctions y compris ministérielles ou assumé de lourdes responsabilités sous le Régime de Moussa Traoré. Ça veut dire ce que ça veut dire. Le Président Modibo Keïta lui-même, dans son discours à l’Assemblée Nationale lors de la session budgétaire 1967-1968, déclarait: «Croire que les Accords franco-maliens permettront de résoudre tous nos problèmes, relève de la pure illusion. Ces négociations s’inscrivent tout simplement dans le cadre de la politique de coopération que le Gouvernement malien poursuit avec de nombreux pays socialistes aussi bien qu’à éco¬nomie libérale. L’aide que nous pouvons recevoir à la suite des accords franco-maliens, tout comme n’importe quelle autre aide, ne peut tout au plus avoir qu’un effet complémentaire ; elle peut soutenir une action interne de redressement, mais ne peut jamais se substituer à elle. L’aide extérieure ne nous sera jamais suffisante ». En novembre 1968 avant de s’embarquer à Koulikoro pour la Conférence Économique Régionale de Mopti – le Président Modibo Keïta déclarait « Les Accords de 1967 sont un piège. Il nous faut nous préparer à les rompre ». Cette position était d’autant plus juste que plus tard en 1969, lorsque l’un des négociateurs Maliens parlait des accords à la tribune de la Conférence Nationale organisée par les putschistes, il a dit que «la dévaluation de 50% du franc malien imposée par ces accords n’était pas une mesure économique mais une décision politique qui visait à abattre un géant et c’est chose faite.» Mettons donc les choses au point: Le Président Modibo Kéita est blanc comme neige aussi bien concernant la mise en place du CNDR que la «mise en vacance» de l’Assemblée Nationale. … »
Amadou Seydou Traoré
La non-satisfaction immédiate des aspirations matérielles des masses populaires, les abus et les exactions des structures d’encadrement comme la milice populaire ont entraîné la désaffection d’une partie du peuple.
Le revirement monétaire de 1967 pour mettre fin à la dégradation du franc malien ne permettra pas de redresser la situation. Bien au contraire : Les accords monétaires de 1967 entre le Mali et la France, (négociés par l’aile droite de l’US-RDA), étaient incontestablement un frein à l’expérience menée au Mali depuis 1960. Debut novembre 1968, le président Modibo Keita déclarait : « Les Accords de 1967 sont un piège. Il nous faut nous préparer à les rompre ».
Mais certaines » forces » n’étaient pas disposées à le laisser faire : Le 19 novembre 1968 un coup d’état militaire mettra fin au regime.
Comme l’a constaté B. Nantet, » Même si l’image de Modibo Keita a toujours été prestigieuse à l’extérieur du Mali, les difficultés économiques, la bureaucratisation grandissante et la mauvaise gestion administrative furent un obstacle à la participation de la majeure partie des couches populaires paysannes. La création d’une milice toute-puissante honnie du peuple et le départ de certains de ses compagnons en avaient fait un homme seul quand les militaires prirent le pouvoir.«
L’expérience menée au Mali de 1960 à 1968 est enrichissante. Le pays en a connu d’autres depuis. On peut raisonnablement penser que les Maliens sauront tirer toutes les leçons de leur histoire récente. Le président Modibo Keita, premier président du Mali était un patriote émérite. Il avait une foi inébranlable au destin de son pays. Ses idéaux d’indépendance nationale, de justice sociale, de liberté et de paix constituent un message fort pour la jeunesse africaine. En 1966 Modibo Keita disait : « Si les idées pour lesquelles un leader a combattu se renforcent et se développent, je considère que c’est la plus grande récompense que puissent recevoir un militant, un leader »
Notes de renvoi : (1) : SISSOKO Fily-Dabo (1900-1964) Ecrivain celèbre. Membre de la première et de la seconde Assemblées nationales constituantes (Soudan) Député du Soudan de 1946 à 1958 Sous-secrétaire d’Etat à l’industrie et au commerce du 5 au 11 septembre 1948. Leader du PSP, parti d’opposition au RDA, il était aussi, membre de la franc-maçonnerie (2) : DICKO Hammadoun (1924-1964) Député du Soudan de 1951 à 1958.-Sous-secrétaire d’Etat à l’industrie et au commerce du 1er février au 13 mars 1956.-Sous-secrétaire d’Etat à la Présidence du Conseil du 17 mars 1956 au 13 juin 1957.-Secrétaire d’Etat à la France d’outre-mer du 17 juin au 6 novembre 1957.-Secrétaire d’Etat à l’éducation nationale du 18 novembre 1957 au 14 mai 1958 (3) : Kassoum Touré avait été appréhendé, car on a trouvé à son domicile des francs CFA prohibés depuis le 16 juillet. Une arrestation qui fut à l’origine des manifestations.