« Le 22 septembre 1960, notre peuple s’est, résolument, engagé à construire une nouvelle société débarrassée de toute sorte de domination et d’exploitation.
(Modibo Keita)
Cette société nous la construirons à la dimension des valeurs de courage et de travail de nos masses laborieuses. »
La fédération du Mali est morte, le Mali de Modibo Keita est né, « le Mali continue «
L’éclatement de la fédération du Mali a eu pour effet de renforcer l’unité nationale. Le parti de Modibo Keita (l’U.S.R.D.A) devient parti unique de fait.
Même les opposants les plus acharnés qui militaient au P.S.P, exprimèrent leur adhésion aux options : Fily Dabo Sissoko(1) (le leader du parti d’opposition) monta à la tribune du Congrès pour proclamer sa disponibilité pour la construction nationale, affirmant ainsi, que malgré les divergences, il restait un nationaliste.
Les premières prises de position de la jeune république, en matière de politique extérieure furent sans détour:
- Soutien à l’Algérie en lutte pour son indépendance;
- Evacuation des bases militaires françaises qui stationnaient au Mali;
- Condamnation des essais nucléaires français dans le Sahara.
Tout cela n’améliorait pas les relations franco-maliennes, déjà très affectées par les évènements liés à l’éclatement de la fédération du Mali.
Charles De Gaulle(2) dépêcha donc, André Malraux(3) auprès de Modibo Keita pour lui porter une lettre qui laisse transparaître les « incompréhensions » entre les deux pays :
Les rapports entre le nouvel État indépendant et l’ancienne puissance coloniale, ( à qui le leader malien reprochait des arrière-pensées néo-colonialistes ) furent souvent « très tendus », mais, n’ont jamais été véritablement rompus. Ceci, grâce aux pragmatismes politiques et aux efforts des uns et des autres.
Le 20 janvier 1961 (au moment de l’évacuation des bases militaires françaises), Modibo Keita expliquait :
« la République du Mali a affirmé sa volonté de coopérer avec la France sur la base de la non-ingérence dans nos affaires intérieures et du respect de notre souveraineté. La décision de mon parti et de mon gouvernement ne met nullement en cause cette volonté ».
En fait, la diplomatie malienne suivait quelques principes :
- – souveraineté nationale ;
- – unité africaine et non-alignement ;
- – défense de la paix ;
- – émancipation du tiers-monde.
En 1977, le journal « Jeune Afrique » évoquait la disparition du président malien en publiant :
« Il se conduisait sans complexe, avec les dirigeants de l’Est et de l’Ouest qui venaient proposer de l’aide à son pays. Avec Modibo Keita à la tête du pays, aucun compromis n’était possible en ce qui concernait la souveraineté nationale, de cela, nous sommes sûrs. Seul entrait en ligne de compte l’intérêt du Mali … Socialiste par nécessité, progressiste à cause de la qualité de ses hommes, sa perte cause un grand tord au mouvement d’émancipation de l’Afrique »
EXTRAIT SONORE :
- Allocution de Modibo Keita à l’issu des élections legislatives du 12/4/1964 au Mali 1:58
La politique intérieure des dirigeants maliens avait notamment comme objectifs :
- – l’édification d’un socialisme adapté aux réalités maliennes ;
- – la décolonisation des mentalités et l’affirmation de la personnalité africaine ;
- – La consolidation de l’indépendance nationale dans tous les domaines.
L’adhésion de la population aux options du parti se manifestera souvent de façon spectaculaire comme la participation massive aux « investissements humains » pour construire des écoles des dispensaires, des routes, etc…
La nouvelle société malienne :
De 1960 à 1963 le Mali va connaître une expérience exaltante : La société malienne va complètement changer de physionomie.
EXTRAIT SONORE :
- Extrait de l’hymne des pionniers : « C’est le jour de l’Afrique » 0:41
Les jeunes (qualifiés de « force de la nation ») feront l’objet d’attentions particulières. Plusieurs structures vont être créées en destination de la jeunesse :
- – Des organisations éducatives et culturelles afin de revaloriser la culture traditionnelle et mobiliser l’ardeur et le dynamisme des jeunes,
- – les mouvements des pionniers pour développer leur esprit patriotique.
- – Le service civique pour assurer la formation politique et civique de ceux d’entre eux qui vivaient dans les campagnes.
L’organisation démocratique des femmes, servait de cadre aux activités sociales et politiques des Maliennes.
D’autres structures comme les Brigades de Vigilance ou la Milice populaire furent mises en place pour assurer un rôle d’encadrement.
Et puis, il y avait l’U.N.T.M. (union nationale des travailleurs du Mali) le syndicat unique, véritable école du socialisme.
L’éducation nationale fut radicalement transformée pour l’adapter à la réalité et à l’intérêt national. Il s’agissait de mettre en place un enseignement de masse et de qualité qui décolonise les esprits et réhabilite l’homme africain. Le taux de scolarisation qui était le plus bas de l’ancienne A.O.F.(8 % en 1957 au Soudan français, contre 20 % au Sénégal, en Côte-d’Ivoire ou au Dahomey), va grimper en flèche.
Le regime de Modibo Keita insista enormement sur l’importance d’une renaissance de la culture africaine, complément inséparable de l’accès à l’indépendance.
Le 26 mai 1967 un alphabet est adopté pour la transcription des langues bambara, fulbé, songhaï et tamasheq.
Dans le milieu rural, des structures de groupement et de coopération furent créées visant à établir une économie rurale socialiste. Cette organisation était destinée à permettre d’accroître la production et faciliter l’organisation des circuits de distribution
Une armée populaire :
Une armée dite » populaire, démocratique et révolutionnaire » est fondées le 10 octobre 1960.
De nombreux officiers, dans le sillage du Général Abdoulaye SOUMARE, acceptant de perdre des avantages importants durement acquis avant l’indépendance, rejoignirent, spontanément, la nouvelle Armée.
La date du 20 janvier est décrétée » fête de l’armée » La jeune armée participera à des missions de maintien de la paix en République démocratique du Congo (ONUC) entre 1960 et 1964.
« Plutôt la mort que la honte » :
Discours de Modibo Keita au « séminaire de de la défense et de la sécurité »
Les bases d’une économie indépendante
Au moment de l’indépendance, l’industrie malienne est inexistante : l’industrialisation du pays n’était manifestement pas la grande priorité du colonisateur. Alors Modibo Keita et son équipe vont s’atteler à la création de plusieurs petites industries : sucrerie, rizerie, cimenterie, usine de céramique, manufacture de tabacs et d’allumettes, tannerie, usine de textile, abattoir frigorifique, huilerie conserverie etc..
Afin de favoriser l’indépendance économique, une quarantaine de sociétés et entreprises d’états verront le jour entre 1960 et 1967:
- Société des Conserves du Mali (SOCOMA),
- Société d’Exploitation des Produits oléagineux du Mali) (SEPOM),
- Abattoir frigorifique,
- Société malienne d’Importation et d’Exportation (SOMIEX),
- Banque de Développement du Mali (B.D.M.),
- Librairie Populaire du Mali (LPM),
- Société des Ciments du Mali (SOCIMA),
- Société nationale d’Entreprise de Travaux publics (SONETRA),
- Air Mali,
- Office des Produits agricoles du Mali (OPAM),
- Énergie du Mali,
- Banque malienne de Crédits et de Dépôts (B.M.C.D.),
- Office cinématographique national du Mali (OCINAM),
- Office du Niger (O.N.),
- Pharmacie Populaire du Mali (P.P.M.),
- Société de construction radioélectrique du Mali (SOCORAM),
- Régie des Transports du Mali (R.T.M.),
- Société malienne du Bétail, des Peaux et Cuir (SOMBEPEC),
- Société nationale de Recherche et d’Exploitation minières (SONAREM),
- Compagnie malienne des Textiles,
- Société Équipement du Mali (S.E.M.A.)
EXTRAIT SONORE :
- Modibo Keita fait un premier bilan des trois premières années d'indépendance 1:17
Après près d’un demi-siècle de colonisation, en 1960, on ne comptait que quinze (15) cadres supérieurs dans tout le Soudan.
Autant dire que pour la construction du Mali, Modibo Keita et son équipe, partaient de rien.
Plusieurs réalisations témoignent du travail effectué en six (6) ans : on notera la création de plusieurs structures qui répondaient aux besoins essentiels de la population :
- – 10 hôpitaux
- – 300 dispensaires
- – 45 centres médicaux
- – 60 maternités
- – Une pharmacie populaire avec des succursales dans toutes les grandes villes et chefs de lieux de cercles et des dépôts dans les arrondissements et les villages.
- – 5 écoles de formation de personnel de la sante
- – 4 écoles d’enseignement supérieur (ENA, ENSUP, ENI, INA)
Pour mieux affirmer la souveraineté nationale, le franc malien fut créé le premier juillet 1962. Le 16 décembre 1966.
L’inauguration du barrage de Sotuba sur le Niger fera figure de réalisation de prestige, témoignant de la mise en œuvre du projet socialiste malien.
Avec l’africanisation des cadres et la création des sociétés et entreprises d’État, l’équipe de Modibo Keita entendait rendre aux Maliens la maîtrise de leur destin.
Renvois :
(1) : SISSOKO Fily-Dabo (1900-1964) Ecrivain celèbre. Membre de la première et de la seconde Assemblées nationales constituantes (Soudan) Député du Soudan de 1946 à 1958 Sous-secrétaire d’Etat à l’industrie et au commerce du 5 au 11 septembre 1948. Leader du PSP, parti d’opposition au RDA, il était aussi, membre de la franc-maçonnerie.
(2) : Charles de Gaulle, (1890 – 1970) est le fondateur de la Ve République française, dont il est le premier président du 8/01/1959 au 28/04/1969.
(3) : André Malraux (1901-1976) ecrivain et homme politique français , compagnon du général de Gaulle, dont il devient le ministre d’État, ministre de la Culture de 1959 à 1969