» Notre lutte contre le colonialisme ne tire pas sa source dans la rancune, elle procède de la volonté de mettre un terme à l’humiliation, à l’esclavage moderne, elle a pour finalité la libération de l’homme. »
(Modibo Keita)
Après deux décennies de combat, les troupes coloniales françaises réussirent finalement à conquérir le Soudan. La bravoure et la résistance opiniâtre des hommes comme El Hadj Oumar Tal, Samory Touré(1), Tiéba(2), Babemba(3) (pour ne citer que ceux-là) n’ont pas suffi à compenser le déséquilibre des forces.
Les soudanais vont payer très cher leur défaite : Enrôlés de force (comme « tirailleurs sénégalais ») pour défendre la liberté des français pendant la guerre 14-18, beaucoup de soudanais perdirent la vie. D’autres, victimes du travail forcé obligatoire instauré par le colonisateur, périrent sur les chantiers des grands travaux comme la construction du chemin de fer Dakar/Niger (voie de pénétration et de pillage des colonies).
LA FORCE NOIRE :
Des centaines de milliers d’africains furent arrachés à leur famille pour être enrôlés de force dans l’armée du colonisateur et servir les intérêts de ce dernier.
Ces africains, appelés « tirailleurs sénégalais » étaient « recrutés » dans l’ensemble des colonies françaises. Sur les champs de bataille ils étaient souvent envoyés en première ligne. Peut être parce que dans son livre, « La Force Noire« , le Général français Mangin, écrit notamment :
« les Africains ont un système nerveux moins développé et donc moins sensible à la douleur« .
Entre 1914 et 1918, 180 000 « tirailleurs sénégalais » vont combattre en France. Plus de 30 000 vont y mourir. Jusqu’en 1962 ils interviendront successivement au Maroc, en Syrie , en France, en Tunisie, au Tchad et en indochine
La longue lutte pour l’indépendance :
Face à l’exploitation et à l’humiliation, la révolte ouvrière et paysanne va peu à peu s’organiser : Révolte bamanan de Diossé Traoré en 1915, celle des cheminots de Toukoto en 1919 ou encore celle de Kayes.
Ces luttes sont souvent férocement réprimées.
En 1921 le mouvement des cheminots sous la direction de Tiémoko Garan Kouyaté(4) entraîna la déportation ou l’exil des « meneurs ».
Ce n’est qu’après 1936 que les premiers syndicats sont autorisés avec beaucoup de restrictions.
Mais c’est vers les années 1944/1946 que la lutte syndicale s’organise. En 1944, l’ivoirien Félix Houphouët-Boigny fonde le Syndicat Agricole Africain.
Le 5 avril 1946, le palais Bourbon, à Paris, vote la fin du travail forcé des travailleurs africains. Ceux-ci avaient pris conscience de leur force et étaient décidés à lutter pour améliorer leurs conditions de vie. Ils vont se doter d’une structure politique à la mesure de leurs ambitions : Le R.D.A. (Rassemblement Démocratique Africain.).
Ce parti devait réaliser l’union des partis politiques des territoires français d’Afrique noire, et constituer ainsi un moyen de pression efficace contre l’autorité coloniale.
Le congrès constitutif du R.D.A. eut lieu à Bamako du 18 au 21 octobre 1946 dans l’enthousiasme général. Il y avait là, 800 délégués de différents pays : Côte-d’Ivoire, Guinée, Sénégal, Dahomey, Niger, Soudan, Cameroun et Tchad
Dès le 22 octobre 1946 un congrès donnait naissance à l’U.S.R.D.A. (Union Soudanaise R.D.A.), la section soudanaise du R.D.A. Ce parti est issu de la fusion de trois autres : le « Bloc soudanais » de Mamadou Konaté(5), le « Parti démocratique » de Modibo Keita et une partie dissidente du P.S.P. (Parti soudanais progressiste) de Fily Dabo Sissoko(6).
Ce dernier, homme de lettres reconnu, croyait au devoir de civilisation de la colonisation. Le P.S.P. était le principal rival politique de l’U.S.R.D.A. Il était qualifié par ses adversaires, de « parti de la collaboration » et accusé de bénéficier de l’assistance bienveillante de l’administration coloniale.
Mamadou Konaté est élu président de l’U.S.R.D.A. C’était un homme respecté, intellectuellement intègre et d’une grande sagesse.
Modibo Keita, lui, devient le secrétaire général du parti. De retour à son poste d’instituteur à Sikasso, Modibo Keita va mener sur le terrain une lutte politique qui va lui attirer les foudres de l’administration coloniale.
Parlant de Modibo Keita, le gouverneur français Louveau disait :
«Un illuminé intelligent, que j’estime dangereux. Le directeur du cours des moniteurs de Sikasso a réussi à avoir une autorité quasi absolue, un ascendant personnel incontestable sur les anciens tirailleurs, sur une partie des fonctionnaires et sur une portion importante de la population. … Modibo Keita emploie cet ascendant à désagréger les chefferies indigènes et à combattre par tous les moyens l’autorité de l’administration française … Continuellement, il provoque ou exploite des incidents pour diminuer l’autorité de notre administration.»
CONTRE L’ARRESTATION DE M. KEITA :
Dans une lettre adressée au Président du Conseil et datée du 27/02/1947, le député du Soudan Mamadou Konaté proteste contre l’arrestation et la condamnation à six mois de prison* de Modibo Keita par l’administration coloniale française.
* Modibo Keita sera finalement incarcéré pendant 20 jours à la prison de la Santé à Paris.
Dans cette lettre M. Konaté justifie les actes de M. Keita qui, selon lui, ne fait que défendre les populations contre les violations de la loi du 6 Avril 1946 qui mettait fin au travail obligatoire des africains. Ces violations étant commises par les « chefs de cantons » avec la complicité de l’administration coloniale.
Mais ni la mutation de Sikasso à Kabara, ni la prison (à « la Santé ») n’entamèrent la détermination et la popularité grandissante du secrétaire générale de l’U.S-R.D.A.
Grâce à leur ténacité et à leurs connaissances du terrain et des lois, des militants nationalistes de l’U.S-R.D.A. résistèrent victorieusement à la répression coloniale.
Ainsi, la militante Aoua Keita (7), empêcha l’administration coloniale d’influer sur les élections de 1951 à Gao. Cette sage-femme, éveilleuse de conscience, fut déclassée et affectée en Casamence. Malgré ces brimades , elle poursuivit, son activisme politique et syndical et influencera plusieurs générations d’Africaines.
Après la loi cadre ou « loi Gaston Defferre » les événements vont se précipiter. Le R.D.A. est devenu une force incontournable grâce à la valeur de ses militants et à ses succès électoraux.
La marche des africains vers l’indépendance ne s’arrêtera plus.
Le Mali reconnaissant a attribué des médailles à plusieurs de ces courageux nationalistes :
Notes de renvois :
(1) : L’Almamy Samory Touré (ou Samori Touré), né vers 1830 à Miniambaladougou, dans l’actuelle Guinée, tombé à Guélémou, actuelle Côte d’Ivoire, et décédé le 2 juin 1900 à Ndjolé, actuel Gabon, fut le fondateur de l’empire Wassoulou. Il mit sur pied une armée disciplinée de 35 000 fantassins et 3000 cavaliers qui résista pendant 16 ans à la colonisation française.
(2) : Tiéba Traoré (1845-1893), roi du Kénédougou, fit construire une muraille défensive (appelé « tata »), longue de 9 km et haute de 6 mètres pour résister, notemment, au siège du colonisateur français entre 1887 et 1888.
(3) : Babemba, frère et successeur de Tiéba Traoré mèna une résistance féroce aux troupes coloniales françaises qui s’achèva avec la chute de Sikasso le 1er mai 1898. Babemba décida alors, de se suicider, « préférant la mort à la honte ». Ce geste, et la résistance qu’il opposa à l’armée coloniale, ont fait de lui un personnage emblématique de l’histoire du Mali.
(4) : Avant d’être assassiné par les nazis en 1942, Tiemoko Garan Kouyate, un des précurseurs du panafricanisme, fut un fervent militant de la cause africaine durant les années 30-40. Il a animé à Paris la Ligue universelle pour la défense de la race nègre. Il fut aussi l’éditeur de la revue « Race nègre », puis, « Le Cri des Nègres » .
(5) : Mamadou Konate (1897-1956) : Député du Soudan, président de l’U.S.R.D.A. fut le premier africain à exercer la fonction de vice-président à l’Assemblée Nationale française.
(6) : SISSOKO Fily-Dabo (1900-1964) Ecrivain celèbre; Membre de la première et de la seconde Assemblées nationales constituantes (Soudan); Député du Soudan de 1946 à 1958 Sous-secrétaire d’Etat à l’industrie et au commerce du 5 au 11 septembre 1948. Leader du PSP, parti d’opposition au RDA. Il était aussi, membre de la franc-maçonnerie.
(7) : Aoua Keïta (1912 – 1980). Elle fut l’une des premières sages-femmes africaines. Dès 1946, elle milite au sein de l’US-RDA. En 1957, elle fonde un Mouvement intersyndical féminin et est élue au bureau des Syndicats des travailleurs du Soudan. Son militantisme aura comme conséquence ses multiples mutations pour raisons disciplinaires. En 1958, elle est élue au Bureau politique de l’US-RDA dont elle est la seule femme. En 1959 elle est élue député.
Aoua Kéita a été honorée de plusieurs distinctions:
– Médaille d’or de l’indépendance du Mali;
– Ordre de la Perfection de la République arabe unie (RAU);
– Mérite de la Croix-Rouge de l’Ethiopie;
– Grand Officier de l’Ordre National du Sénégal;
– Grand Commandeur de l’Ordre de l’étoile d’Afrique du Libéria;
– Officier de l’Ordre National du Dahomey.