« Après quelques hoquets racistes, linguistes, archéologues, généticiens se sont enfin mis au travail. Et peu à peu, ils ont fait surgir des ténèbres une fantastique aventure.. »
(T. P. Rémy)
Aussi loin qu’on puisse remonter dans l’histoire de l’Afrique subsaharienne, on s’aperçoit que le tandem Mali-Keita a eu une grande résonance. Aussi, la puissante tradition malienne avait-elle une place très importante dans la politique de Modibo Keita qui disait :
« … Nous voulons être les dignes héritiers de nos ancêtres, les artisans d’un Mali resplendissant de prospérité intérieur et de rayonnement international. … En donnant le nom Mali à notre jeune République, nous avons devant l’histoire fait le serment de réhabiliter les valeurs morales qui ont fait la grandeur de l’Afrique. »
Il faut dire que l’héritage est fabuleux :
En 1324 après le pèlerinage de son empereur à la Mecque, le Mali était devenu une terre quasi mythique pour l’Europe et l’Afrique du Nord. On connaissait la richesse de cet empire flamboyant, on avait entendu parler de son centre culturel à Tombouctou où on enseignait le droit, la philosophie, l’astronomie et la théologie. Mais les historiens découvrent une civilisation encore plus fascinante qu’on ne le croyait.
Les bâtisseurs d’empires :
Parmi les voyageurs étrangers, mi-marchands, mi-espions, qui ont sillonné la région attirés par la curiosité ou la richesse de l’empire du Mali, il y eut le célèbre ambassadeur, historien : Ibn Battuta(1)
UN TEMOIN OCULAIRE :
Ibn Battuta a visité l’empire du Mali en 1352 et 1353. Dans son récit il décrit la société malienne.:
(Ibn Battuta – récit de voyage (Rihla))
« Les actes d’injustice sont rares chez eux, de tous les peuples c’est celui qui est le moins porté à en commettre, et le sultan ne pardonne jamais à ceux quiconque s’en rend coupable. Dans toute l’étendue du pays il règne une sécurité parfaite, on peut y demeurer et voyager sans craindre le vol ou la rapine…»
En ce qui concerne le luxe de la cour impériale du Mali, le célèbre chroniqueur arabe écrit :
« La salle (d’audiences) a trois fenêtres en bois recouvertes de plaques d’argent, et, au-dessous, trois autres recouvertes de plaques d’or… Les écuyers arrivent avec des armes magnifiques : carquois d’or et d’argent, sabres ornés d’or ainsi que leur fourreau, lances d’or et d’argent, massues de cristal…»
Ibn Battuta est le seul témoin oculaire à laisser un écrit antérieur à ceux des découvreurs européens. Après un long périple de plus de 120 mille km qui l’amena jusqu’en Chine, le « voyageur de l’islam« , comme on le surnommait, fut chargé par le sultan du Maroc d’aller visiter ce riche voisin du Soudan (« le pays des noirs » en arabe). Ibn Battuta revint de ce voyage au Mali, émerveillé par la splendeur de l’empire mais déçu(2) de ne pas avoir été couvert d’or par l’empereur malien.
Grâce aux traditions orales et aux chroniques arabes, on en sait un peu plus sur l’épopée de cet empire légendaire.
Jusqu’au début du XIIe siècle, le Mali n’était qu’un petit royaume à cheval sur le Niger en amont de Bamako, vers le confluent de la rivière Sankarani, dans le Mandé. Malgré la possession de quelques mines d’or (Bouré), le royaume n’avait rien d’exceptionnel.
Au XIIe siècle, le roi du Mali nommé Naré-Famaghan (appelé aussi Maghan Konaté ) chercha à « réunir » les royaumes voisins afin de pouvoir s’opposer efficacement, aux nomades du Sahara qui descendaient régulièrement faire des razzias et capturer des esclaves. Mais cette initiative inquiéta son suzerain le roi du Sosso, Soumangourou (Soumaworo) Kanté , qui décida de se débarrasser de ce vassal trop ambitieux.
Les troupes du Mali furent écrasées et le royaume occupé.
Mais, le cadet des enfants de Naré-Famaghan Konaté, Soundiata Keita, va libérer le pays et fonder le célèbre empire du Mali.
La bataille entre les troupes de Soundiata Keita et celles de Soumaoro eu lieu à Kirina, vers 1235.
La victoire de Soundiata marqua alors le début de ses conquêtes. Beaucoup de royaumes voisins se placèrent d’eux-mêmes sous son autorité. L’armée malienne, avec ses 10 mille cavaliers et ses 100 mille fantassins, déferla sur les royaumes qui résistaient. Soundiata annexa tous les pays formant le Sosso, et surtout l’ancien royaume de Ghana et ses mines d’or.
Le Mali s’étendait alors entre l’Atlantique et la boucle du Niger sur plus de mille kilomètres, et englobait les actuels Mali, Burkina Faso, Sénégal, Gambie, Guinée, Guinée Bissau, Mauritanie et une grande partie de la Côte d’Ivoire. Selon les griots, « il fallait plus d’une année pour en faire le tour à pied »
Deux siècles de prospérité
L’empire du Mali va connaître deux siècles de prospérité grâce à sa puissante armée, son organisation sociale et administrative, son or, l’abondance de ses ressources agricoles, le dynamisme de son commerce et la qualité de ses échanges culturels.
La première force de l’empire était la diversité des ethnies qui le peuplaient : Malinkés, Bambaras, Peuls, Wolofs, Toucouleurs, etc… Le territoire était divisé en provinces situées tout autour de la capitale établie à Niani. A la tête de chaque province, se trouvait un ‘Farin’ qui la gouvernait et prélevait les impôts.
Outre l’organisation du commerce et l’intense activité artistique, ce qui frappait le visiteur étranger, c’était la paix et la sécurité qui régnaient dans tout l’empire. Chose incroyable à cette époque moyenâgeuse où les pillards les pirates et les voleurs sévissaient un peu partout à travers le monde. Pendant que l’esclavage était en pleine expansion, le « grand Soundiata » organisa des brigades antiesclavagistes.
Bien avant la proclamation des droits de l’homme de 1789 :
Autre œuvre extraordinaire du souverain malien : le “Donsonlu kali kan” (le serment des chasseurs). Il s’agissait d’une charte de vie commune, » charte du Mandé « , un modèle des Droits de l’Homme qui a précédé de plusieurs siècles la Proclamation universelle des droits de l’homme de 1789 en France. La « Charte du Manden » est aussi appelée la « Charte de Kouroukan Fouga » en référence au site où elle fut proclamée en 1236. Cette déclaration « africaine » des droits humains énonçait notamment :
“ Aucune vie humaine n’est plus respectable qu’une autre ”.
Une foi en l’homme et un respect de la vie humaine, à peine imaginable en plein moyen âge :
L’or extrait des mines de Bouré, Bambouk ou Galam valut à l’empire un grand prestige. Mais sa richesse provenait surtout d’un commerce florissant. Les routes étant sûres, les échanges avec les marchands arabes se mirent à prospérer.
A l’intérieur, fonctionnait une efficace organisation commerciale. Les richesses et les potentialités de chaque région étaient exploitées: L’Ouest produisait surtout les denrées alimentaires, le fer provenait essentiellement du centre, Les pays du Nord fournissaient le sel, du coton ou de l’huile de karité. Au Sud dans les forêts, on s’approvisionnait en ignames, noix de kola et autres tubercules. A cette époque, tout comme en Europe, la population du Mali avait surtout une activité agricole, l’empire produisait du mil, du fonio, du sorgho ou du riz en grandes quantités. L’élevage aussi y était pratiqué avec succès et les sujets du » Mansa » étaient bien nourris.
Soundiata Keita mourra noyé vers 1255. Plusieurs de ses fils lui succédèrent : Ouali, Mansa wullen (vers 1255 – 1270), Ouati (vers I270 -1274), Khalifa (vers 1274 -1275). Puis ce fut le tour du petit-fils de Soundiata, Abou Bakr (vers 1275 – 1285).
Tous ces successeurs ne laissèrent pas beaucoup de souvenir, n’étant guère des grands rois. C’est sans doute pour cela qu’un usurpateur du nom de Sakoura s’emparera du pouvoir et régna de 1285 à 1300. Quinze années pendant lesquelles cet ancien général de l’armée malienne va consolider la puissance de l’empire. Il sera tué sur la route de son retour de la Mecque.
Bien avant Christophe Colomb :
Les descendants de Soundiata Keita purent retrouver le pouvoir après la mort de Sakoura :
Ce fut d’abord son fils Gao (vers I300-I305), puis le fils de ce dernier, Mohammed ibn Gao (vers I305-I3I0), enfin son neveu Aboubakar II (vers I3I0-I3I2).
Ce dernier, deux siècles avant Christophe Colomb, curieux de connaître les limites de l’Océan, y lança une expédition de 200 pirogues. Suite à l’échec de l’opération (une seule pirogue était revenue), le souverain fit équiper 2 mille autres pirogues chargées de vivres et d’eau . Il s’élança à son tour, laissant le pouvoir à son fils, le futur Kango Moussa. Aucune des embarcations ne revint. Ainsi Aboubakar-2 est mort, victime de cette curiosité qui fut souvent à l’origine des grandes découvertes.
Un empire flamboyant :
L’empire du Mali va atteindre son apogée sous le règne de Kango Moussa (1312-1337), plus connu sous le nom de Mansa Moussa. Les historiens arabes racontent le fastueux pèlerinage qu’il effectua à la Mecque en 1324 : une escorte qui comptait entre 15 000 et 60 000 hommes qui emportait avec elle 10 à 12 tonnes d’or qu’elle distribuait à pleines poignées. Au point que le cours du métal précieux chuta pendant dix ans.
Ibn Battuta décrit la cour impériale du Mali :
« Certains jours, le sultan tenait audience dans la cours du palais sous un arbre. Il était assis sur une estrade recouverte de tapis de soie, et surmontée d’une ombrelle de soie, couronnée d’un oiseau en or. Le sultan porte une coiffe en or. Il est vêtu d’une tunique de velours rouge confectionnée dans de précieux tissus venus d’Europe. Il est précédé de musiciens dont les guitares sont en or et en argent. Derrière lui, 300 esclaves soldats. ”
Extrait de récit de voyage (Rihla) [Ibn Battuta].
A son retour de la Mecque, Mansa Moussa engagea des astronomes, des mathématiciens et surtout des juristes et des hommes pieux dont certains seront installés à Tombouctou qui va devenir un centre intellectuel. C’est à cette période que fut inventée au Mali une architecture d’un genre nouveau qui utilise le banco et des armatures en bois.
Il est à noter que l’empire du Mali qui connaissait l’écriture, puisque les secrétaires de l’empereur écrivaient régulièrement aux souverains étrangers, lui préféra la tradition orale.
Les successeurs de Mansa Moussa furent successivement : Mansa Maghan (1337-I34I), Mansa Souleiman, frère de Mansa Moussa (vers I34I-I360), son fils Kassa (vers I360), Mari Diata II, fils de Mansa Maghan(vers I360-1374), son fils Moussa II (vers 1374-1387), Magha II (vers 1387-1389), et l’usurpateur Sandaki (vers 1389-I390).
Tous ces rois n’étaient pas toujours soucieux de la gestion des deniers de l’empire et les impôts devenaient écrasants.
Après la mort de Mansa Souleymane, des querelles et l’anarchie affaiblirent le pouvoir des Mansa. Des régions s’émancipèrent.
A la fin du Xe siècle, après les attaques des Mossi, des Touareg et des Songhaï, le Mali est réduit aux pays de l’ouest. Entre le XVIe et XVIIe siècle, les Bambara sous le règne de Biton Coulibaly vont ramener le Mali à ses dimensions d’origine.
Notes de renvoi :
(1) : Ibn Battûta, (1304- 1369) est un explorateur et chroniqueur musulman. Il a parcouru 120 000 km en 28 ans de voyages qui l’amenèrent de Tombouctou au sud à Bulghar (en actuelle Russie, sur la Volga) au nord ; de Tanger à l’ouest à Quanzhou en Extrême-Orient. Ses récits, compilés par Ibn Juzayy dans un livre appelé Rihla (voyage) sont plus précis que ceux de Marco Polo, bien que certains passages décrivant notamment, des êtres surnaturels relèvent de la pure imagination de l’auteur.
(2) : Ibn Battuta arriva au Mali à l’époque où l’empereur du moment, soucieux de la gestion des deniers de l’empire, menait une politique qui visait à mettre fin à la gabegie commise pendant des années par certains de ces prédécesseurs sur le trône. Aussi, le « voyageur » jugea ce souverain malien «pingre» par rapport aux précédant.
(3) : La charte du Mandé (ou du Kouroukan Fouga) a été transmise par voie orale. Il n’en existe pas de traces écrites. Le texte décrit ici provient des travaux menés dans les années 1970 avec le griot Wa Kamissoko.