On n’est jamais satisfait du portrait d’une personne que l’on connaît bien
(Goethe)
Les témoignages le confirment : Modibo Keita n’était pas seulement un homme d’État prestigieux, il avait aussi des qualités d’homme tout court :
En avril 1936 alors qu’il était élève à l’école William Ponty, il fit preuve de courage en sauvant de la noyade le futur président de la république du Dahomey (actuel Bénin) Emile-Derlin Zinsou. L’ancien chef d’État Nigérien, Monsieur Hamani Diori, qui était un camarade d’école de Modibo Keita témoigne : « Modibo était à l’école un gros travailleur, très sérieux dans ses obligations (ses devoirs étaient toujours achevés sans retard), ne remettant jamais au lendemain le travail du jour, ce qui lui permettait de disposer de temps libre pour nos distractions, notamment la musique (flûte) et l’action (en particulier le rôle de Bakary Dian (1) qu’il préférait). Il était un camarade foncièrement honnête et franc…. En ce qui concerne sa personnalité je me dois de citer un acte de courage à son actif : à Gorée notre camarade E. Derlin Zinsou, qui se baignait, fut pris d’une défaillance et allait se noyer alors que ses camarades voyant ses grimaces croyaient à une farce de poisson d’avril. C’était le premier avril 1936. Modibo se jeta à l’eau et le sauva. Il était aussi propre dans son corps que dans son esprit et je ne puis que garder un souvenir admiratif de ce bon camarade.»
La grandeur d’âme de Modibo Keita se manifestait en toute occasion. Voici quelques témoignages de personnes (partisans ou adversaires politiques) qui ont connu l’homme dans diverses circonstances :
Témoignages :
M. BAUX ancien ambassadeur de France, ministre français plénipotentiaire :
» De haute taille, Modibo Keita avait cette distinction des seigneurs de la savane, cette façon de mesurer ses gestes et sa parole. Il y avait de la grandeur dans son comportement : jamais je ne l’ai vu s’attarder sur quoi que ce soit d’insignifiant ou mesquin… Sa vision politique était inspirée d’un idéal profond. «
Y. Djermakoye ancien secrétaire général adjoint de l’ONU, ex ministre nigérien :
» J’ai découvert Modibo , orateur né, qui parlait sans complaisance… Son verbe était de la dynamite, ses idées clairement exprimées fusaient comme propulsées par une inlassable énergie… ses thèmes de combat restaient les mêmes. Intransigeant avec lui-même, il l’était particulièrement avec ses adversaires politiques… Mais sa préoccupation essentielle était de faire la lumière sur les violations des libertés individuelles et collectives…. Modibo Keita s’inscrit parmi les géants de l’histoire de l’indépendance africaine. L’Afrique reconnaissante ne l’oubliera jamais. Elle continuera toujours à raconter ses hauts faits et le sacrifice qu’il a consenti pour qu’elle aspire à de meilleures destinées «
MG. JULIS syndicaliste français. Il a passé cinq ans au Mali dans les années soixante :
» Il (Modibo Keita) avait le souci de l’homme, de l’homme responsable, du militant engagé… Je considère que le président Modibo Keita , homme intègre, dévoué, tolérant, militant valeureux et désintéressé représente toujours l’exemple des possibilités de lutte, de combat pour des changements réels dans des pays comme le Mali «
M. LEOPOLD SEDAR SENGHOR, premier président du Sénégal :
« … Ce que je retins, tout d’abord, de Modibo Keita, c’était sa grande droiture, qui prenait ses racines dans sa foi profonde. C’était ce que j’appelle un « vrai musulman », c’est-à-dire un homme qui suivait, dans leur esprit, les préceptes du Coran. Il ne croyait pas, il ne croit pas aux gris-gris et aux maraboutages, comme trop de musulmans et de chrétiens. Le deuxième trait du caractère de Modibo Keita est, précisément, son besoin de rationalité et son esprit de méthode…Pour revenir au Parti de la Fédération Africaine, je suis sûr que l’action de Modibo Keita, comme Secrétaire Général de ce Parti, n’a pas manqué de nous influencer, nous tous Sénégalais et Maliens. Car, encore une fois, cette action visait toujours à l’efficacité. Le troisième trait que je vais retenir de Modibo Keita est son humanité. Comme chacun le sait en Afrique, la voie malienne est une voie dure, sévère. Mais ce n’est pas une voie sanglante. Si Modibo Keita est tel, c’est, bien sûr, affaire de tempérament. C’est aussi, j’en suis convaincu, esprit d’objectivité, d’équité. Au temps du P.F.A., il ne manquait jamais de demander des sanctions pour les erreurs ou les fautes commises ; mais il évitait tout ce qui était excès, tout ce qui pouvait paraître comme ressentiment ou vengeance. Cela est très important. L’esprit d’équité, je dirais plus : l’esprit d’humanité, est un des traits fondamentaux de l’Africanité, singulièrement de la Négritude. Voilà, très brièvement, l’image que je garde de Modibo Keita, Secrétaire Général du P.F.A. Tel il était, tel je le retrouve, de loin, à travers ses actes et ses discours : un homme de foi, un homme d’efficacité, un homme d’humanité. On comprend qu’il ait été un des grands hommes de la première Conférence d’Addis-Abéba : un militant de l’Unité Africaine.”
M. SOUROU MIGAN APITHY ancien Président de la République du Dahomey (actuel Benin) :
» L’ancienne Fédération du Mali dont Modibo Keita fut l’un des leaders les plus passionnés et les plus lucides est un exemple historique de sa volonté d’unir. L’indépendance de son pays natal l’appela à la magistrature suprême et ce fut l’occasion pour lui de ceindre à nouveau sa tunique pour le pèlerinage de l’Unité Africaine. Pèlerin de l’Unité Africaine, il le fut incontestablement, courageusement, passionnément. De la Guinée au Ghana, du Niger en Haute-Volta, de la Côte d’Ivoire au Sénégal, du Maroc en Tunisie, de l’Algérie à la République Arabe Unie, il porta le message de l’Unité Africaine, sans jamais se lasser avec le zèle fougueux des prophètes de l’Ancien Testament. A Addis-Abeba comme au Caire, il parla le langage de l’homme d’État avisé, convaincu et convaincant, parfaitement lucide et d’une admirable tolérance. Le Président Modibo Keita est sans conteste l’une des grandes figures africaines de notre temps. »
M. MAMADOU DIA, ancien président du conseil de gouvernement du Sénégal :
“ Modibo Keita fut incontestablement un de nos pharaons modernes, qui aura consacré toute son intelligence et toute son énergie a la grande oeuvre de reconstruction de l’unité africaine …. Bien sûr, l’homme n’était pas parfait ; mais notre monde politique, notre monde tout court a-t-il vocation d’être la demeure des Anges ? Ses adversaires ont notamment critiqué son style autoritaire, qu’il tiendrait de ses racines aristocratiques, féodales, et de l’influence qu’exerçaient sur lui certains éléments purs et durs de son entourage. Quoi qu’il en soit, ces critiques ne sauraient ternir l’éclat de cette personnalité flamboyante qui aura marqué d’une empreinte indélébile l’Afrique de la première décennie de la décolonisation. Elles ne sauraient non plus masquer sa silhouette imposante qui réapparaît aujourd’hui au firmament de l’histoire, éblouissante de lumière. »
Cliquer ici pour lire la Lettre de Mamadou Dia
Bamako, 6 juin 1999 TÉMOIGNAGE DE M. MAMADOU DIA, ANCIEN PRÉSIDENT DU CONSEIL DE GOUVERNEMENT DU SÉNÉGAL ( Dakar, mai 1999 )
Monsieur le Président, Mesdames, mesdemoiselles messieurs,
Permettez-moi tout d’abord de me réjouir de votre belle initiative qui se propose, à travers la personne du grand Africain que fut le président Modibo Kéïta, de « rendre hommage à tous les Africains qui ont assumé leur devoir de génération, notamment en dédiant leur combat à la libération et au progrès de leur peuple« . Dans un contexte africain marqué par une perte des identités et des repères dont nous mesurons quotidiennement les effets, cette journée du souvenir est une occasion, pour les jeunes et les moins jeunes de s’abreuver à la source fraîche de nos combats d’hier, pour mieux affronter les défis majeurs du troisième millénaire. Pour ma part, en dépit des ennuis de santé qui me privent du plaisir d’être avec vous en ce jour historique. je ne saurais me dérober aux devoirs de mémoire qu’il me faut rendre à un compagnon de lutte prestigieux qui, avant que les vicissitudes de la Fédération du Mali ne nous séparent, fut pour moi. d’abord, un ami et un frère, avec qui me liaient de fortes affinités ainsi qu’une adhésion commune aux valeurs cardinales qui ont fondé nos combats politiques respectifs. Modibo Kéïta a été d’abord et avant tout un grand visionnaire africain, dont toute la vie a été habitée, sans discontinuité par la mystique d’une Afrique majeur et respectée parce que unie. Figure austère, intellectuel de formation marxiste. musulman pratiquant qui n’a toutefois jamais été tenté par les démons de l intégrisme, homme de gauche qui n’a jamais marchandé ses convictions socialistes, il a eu le mérite d’être demeuré fidèle au grand rêve de ses ancêtres bambaras, ces bâtisseurs d’empires africains. I1 fut incontestablement un de nos pharaons modernes, qui aura consacré toute son intelligence et toute son énergie a la grande oeuvre de reconstruction de l’unité africaine. Il l’a fait avec réalisme pugnacité et persévérance, sans jamais baisser les bras devant l’adversité ni devant les échecs nombreux et r répétés. Ce qui m’a le plus frappé chez lui, c’est qu’il avait su, à l’inverse de la majorité des leaders africains de son temps, résister aux tentations du territorialisme et cultiver une vision globale, fédératrice, des problèmes africains. C’est ce qui a longtemps facilité sa collaboration avec les responsables sénégalais que nous étions à l’époque, Senghor et moi. Après la Conférence de Bamako de décembre 1958, nous avons créé le Parti de la Fédération Africaine ( PFA) en juillet 1959, et nous sommes allés ensemble à l’indépendance dans le cadre de la Fédération du Mali. Après l’échec de celle-ci, Modibo a contribué à penser le projet de l’Union Ghana-Guinée-Mali. qui ne vit malheureusement pas le jour. Il fut également, avec le roi Hassan II l’un des maîtres oeuvre de la Conférence de Casablanca. Son endurance et son opiniâtreté en font un des pères fondateurs les plus prestigieux de l’Organisation de l’Unité Africaine – (OUA). Mais, lui rêvait d’une autre OUA, celle des peuples. Homme très ouvert. il fut également l’un des premiers dirigeants de l’Afrique noire à comprendre la nécessité de l’ouverture vers le Maghreb. Bamako-Rabat, Bamako-Alger, que d’efforts qu’il a fournis pour forger et renforcer les axes de l’intégration africaine ! Sur un autre plan, celui des rapports avec l’ex métropole, Modibo Keïta prônait, avant la lettre. ce qu’on appelle aujourd’hui le « partenariat », c’est-à-dire une coopération égalitaire, dont les avantages seraient réciproques, et qui serait dénuée de toute forme de paternalisme et de suprématie. En un mot, coopération sans néocolonialisme. I1 n’était certainement pas un anti-français mais il était, sûrement et de toute son âme, un anti-Archinard, c’est-à-dire un anticolonialiste farouche et intransigeant. Ici également, son ouverture d’esprit et sa vision globale des problèmes l’ont conduit à opter très tôt pour une diversification des relations internationales de son pays, notamment par l’établissement de rapports de coopération avec l’URSS S et la République populaire de. Chine. Sa vision intégrationniste n’ignorait pas cependant les réalités maliennes ; en effet, il avait consacré beaucoup d’efforts à l’intégration des Touaregs de Tombouctou dans l’ensemble malien. Modibo Keita. cette figure de proue des générations pionnières des indépendances africaines n’a malheureusement pas pu donner la pleine mesure de ses talents. Comme tous les dirigeants des jeunes États africains son élan prométhéen a été contrarié par les conditions historiques du développement de son pays. L’échec de la Fédération du Mali y aura été pour beaucoup. I1 a résulté de causes objectives et subjectives, dont la plus déterminante semble liée au fait que les concepteurs du projet n’avaient pas suffisamment pris en compte la force du micro nationalisme dans l’esprit des chefs politiques et des populations elles-mêmes. I1 s’y ajoute qu’après le retrait de nos autres partenaires la Fédération s’est réduite à un tête-à-tête entré Sénégalais et Soudanais qui ne pouvait qu’être un dialogue de sourds à l’époque, sans possibilité d’arbitrage ni même de résolution démocratique des conflits. Avouons aussi que de nombreux Sénégalais n’étaient pas enthousiasmés par une construction fédérale à laquelle ils avaient le sentiment d’avoir tout apporté, notamment Dakar et ses infrastructures, sans véritable contrepartie. Et que la partie soudanaise n’était pas non plus exempte de péchés. Cette rupture de l’axe Bamako-Dakar a rendu difficile la prise en charge efficace des grands défis :’ auxquels Modibo Kéïta était confronté. Le Mali était et demeure en effet un pays mal loti géographiquement et structurellement. Privé de tout débouché maritime, il ne dispose guère de ressources stratégiques pouvant soutenir un développement conforme à ses options idéologiques, le sel de Taoudenit ne pouvant plus, dans les nouvelles conditions de l’économie mondiale, entretenir les flux importants d’échanges qui ont fait la fortune des anciens empires des XIVe et X V e siècles. C’est pourquoi il sera relativement facile à la réaction néo-coloniale d’arriver à bout de cet homme qui était un obstacle majeur à la réalisation de ses sinistres objectifs. Finalement, un coup d’État militaire a privé ce grand Africain des moyens de son grand dessein. Les experts des comptes d’épicier diraient aujourd’hui que Modibo Keïta n’a pas réussi son entreprise. Mais ce qui compte, par-dessus tout, c’est que l’homme est demeuré fidèle à lui-même. Si jamais il a échoué. Ce n’est pas – faute de volonté politique, d’acharnement, de dynamisme et d’imagination créatrice. Bien sûr, l’homme n’était pas parfait ; mais notre monde politique, notre monde tout court a-t-il vocation d’être la demeure des Anges ? Ses adversaires ont notamment critiqué son style autoritaire, qu’il tiendrait de ses racines aristocratiques, féodales, et de l’influence qu’exerçaient sur lui certains éléments purs et durs de son entourage. Quoi qu’il en soit, ces critiques ne sauraient ternir l’éclat de cette personnalité flamboyante qui aura marqué d’une empreinte indélébile l’Afrique de la première décennie de la décolonisation. Elles ne sauraient non plus masquer sa silhouette imposante qui réapparaît aujourd’hui au firmament de l’histoire’ éblouissante de lumière. Voilà, Monsieur le Président, les raisons pour lesquelles le souvenir de l’action de Modibo Kéïta doit résonner, d’abord et avant tout, comme un puissant appel au sursaut à l’adresse des générations montantes. Un cri du coeur qui exalte les vertus de l’unité, de la dignité et de la grandeur africaines, pour la consécration desquelles il a si ardemment vécu. Quarante ans après l’entreprise avortée du Mali, notre Afrique n’est certainement pas celle dont rêvaient Modibo Keïta et ses compagnons. Tous les démons que nous autres fédéralistes africains voulions exorciser se sont ligués pour composer, sur la chair vive de notre continent, les tristes et tragiques figures de la désintégration et de la recolonisation. Non ! Cette Afrique de la résurrection des clans, des ethnies et des tribus, cette Afrique des marchés d’esclaves que se partagent les multinationales sous la direction vigilante du Fmi et de la Banque mondiale, cette Afrique des élections préfabriquées et des caricatures de démocratie, ce n’est pas l’Afrique de Modibo Keïta ! Il est donc grand temps que batte à nouveau 1e tam-tam du sursaut, pour un nouveau rassemblement de Bamako, à la veille du troisième millénaire. Telle est, à mon sens, la signification qu’il convient d’accorder au souvenir de l’action du président Modibo Keïta. MAMADOU DIA (message envoyé lors de l’inauguration du mémorial Modibo Kéita)
M. ALPHA OUMAR KONARE, ancien président de la Commission de l’Union africaine (U.A.), ancien chef d’Etat malien :
“ Nous savons gré à Modibo KEITA pour sa rigueur morale, pour son intégrité, pour son amour ardent du travail, du travail bien fait, pour son sens élevé du devoir. Personne ne doit oublier sa contribution exceptionnelle à l’œuvre d’édification d’une économie nationale indépendante, sa passion du Mali et de l’Afrique, son combat inlassable pour l’unité africaine, son engagement constant auprès des peuples du Tiers Monde à travers le Mouvement des non-alignés, sa lutte pour la paix dans le monde. Il a été de tous les combats justes, de tous les combats des opprimés. »
Cliquer pour lire le Discours de Alpha Oumar Konaré
PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE Un Peuple – Un But – Une Foi
DISCOURS DE SON EXCELLENCE MONSIEUR ALPHA OUMAR KONARE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, CHEF DE L’ÉTAT A L’OCCASION DU SYMPOSIUM MODIBO KEITA PREMIER PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DU MALI- – Palais des Congrès, le 06 juin 1999 – (extrait)
Artistes du Mali, “Vous avez bien dit: » Que ce qui a été accompli l’a été pour être dit » . Alors, aujourd’hui nous dirons beaucoup de choses avec nos illustres hôtes qui ont accepté la plupart, malgré leur grand âge, de faire ce déplacement . Aujourd’hui nous dirons tout avec tous nos amis venus pour porter témoignage. Porter témoignage pour Modibo KEITA l’instituteur, pour Modibo celui-là même dont beaucoup ici sont dans l’attente et que son martyre oblige, obligera toujours et pour toujours. Porter témoignage, à travers et au delà du Président Modibo KEITA, d’une période capitale de notre histoire commune. Porter témoignage ce faisant, de leur propre parcours dans le sillage de cette unique épopée de l’Afrique moderne, ou tous les africains soudés comme une masse, réalisèrent le destin fabuleux de la liberté, derrière des hommes d’une haute tenue morale. Mesdames et Messieurs, Camarades, Il aurait eu ce 04 juin 1999, 84 ans, le fils de Daba KEITA et de Fatoumata CAMARA. En ce funeste novembre 1968, Modibo KEITA avait 53 ans, notre âge aujourd’hui. Mon Dieu ! que très tôt, trop tôt nous avons été sevrés de Modibo. Mon Dieu, ta volonté a été la plus forte ! forte aussi a été par ta grâce la détermination de notre peuple de maîtriser le long crépuscule, de réduire la nuit par ce soleil de mars 1991. Soleil de mars 1991, soleil aussi de Modibo KEITA. Ce soleil qui a commencé à scintiller un certain jour de novembre 1946. Avec près de Modibo, Modibo sous son ombre Mamadou KONATE » Saint Père « , le Sage, le bonhomme, notre père KONATE, Modibo et lui ensemble, lui et Modibo ensemble toujours unis sur l’essentiel malgré des divergences. Avec Modibo bien d’autres de tous âges, de toutes conditions sociales, ceux qui nous ont quitté, qui sont partis pour toujours….
Camarades, Ce soleil de Modibo aura accompagné toutes les grandes batailles de notre pays: – la bataille de la suppression du travail forcé en 1946; – la bataille du rail en 1948; – la bataille du code du travail en 1952-1953 avec le SMIG et les 40 heures; – la bataille de la loi cadre en 1956; – la bataille du référendum en 1958; – la bataille fédéraliste en 1959; – la bataille du Mali le 22 Septembre 1960. Et la bataille pour le Mali: – avec la création de l’Armée Nationale le 1er Octobre 1960 et le départ des troupes étrangères le 20 Janvier 1961. La bataille pour le Mali: – avec la création d’Air Mali le 27 Octobre 1960, de la Société Malienne d’Importation et d’Exportation (SOMIEX), de l’Office des Produits Agricoles du Mali (OPAM), de la Librairie Populaire du Mali (LPM) le 29 octobre 1960. La bataille pour le Mali: – avec la création de l’Énergie du Mali (EDM) le 1er janvier 1961; – la nationalisation de l’Office du Niger 20 janvier 1967; – la création de la Société Nationale de Recherches Minières (SONAREM) le 18 Mai 1961. La bataille pour le Mali avec la création du franc malien le 1er juillet 1962; – la réforme de l’Enseignement le 17 septembre 1962. La bataille de l’Afrique.. . et j’en passe ! Mesdames et Messieurs, Camarades, La cérémonie d’aujourd’hui n’est pas un sacre. Elle n’est pas un culte de la personnalité. Elle n’est pas un panégyrique adressé aux seules qualités d’un homme. Nous voulons, en ce jour de souvenir collectif, consacrer à travers le Mémorial Modibo KEITA, un lieu de la mémoire qui retisse, fil à fil, la trame de notre histoire récente; sans complaisance mais sans haine, sans passion mais sans laxisme. Parce que nous savons qu’il était véritablement un fils de l’époque, hanté comme tant d’autres par les mêmes ambitions, il s’agit ensemble de rendre hommage à tous ceux qui, comme lui, ont oeuvré au même idéal, sans forcément emprunter les mêmes chemins, sans forcément aboutir aux mêmes résultats. Le Premier Président du Mali indépendant mérite à tout le moins la reconnaissance de la nation, mais il n’est pas d’acte d’écriture de sa vie et de son combat qui fasse le silence sur les acteurs de l’époque, partisans ou adversaires, qui ont armé sa détermination, raffermi sa volonté, dénoncé ou corrigé ses erreurs. Ce temps, Camarades, est venu pour nous, celui de la maturité, où nous devons regarder notre histoire en face et reconnaître à chacun le mérite qui est le sien dans la construction nationale, reconnaître aussi nos lacunes, nos faiblesses, nos fautes et les expliquer aux générations montantes. Camarades, Nous avons entrepris cette oeuvre de relecture et de réhabilitation, conscients que des perceptions singulières et partisanes de notre histoire continuaient à figer celle-ci dans le seul dilemme de l’apologie ou de l’ostracisme. La distance nécessaire pour juger des faits et actes des années d’indépendance (je dis bien des années d’indépendance) nous a restitué l’image de patriotes engagés à la cause de l’Afrique, qu’ils soient du RDA ou du PSP de Fily Dabo CISSOKO et de Hammadoun DICKO ou de tendances autres, même si plus tard, dans le feu de l’action politique, les divergences de pensée et d’orientation devaient prendre des dimensions excessives. Cette juste réparation qui reconnaît aux adversaires du Président Modibo KEITA leurs valeurs intrinsèques et leurs qualités pleines de citoyens maliens s’inspire de la ligne démocratique dans laquelle la 3ème République s’est engagée et qui, par essence, laisse ouvertes toutes les portes de lecture de l’Histoire. La sérénité d’une telle démarche se fonde sur le fait qu’il est connu que l’Histoire ne se révèle pas dans la fébrilité, ni ne répond, sinon que circonstanciellement et superficiellement, aux impératifs de la politique politicienne. La haine et la passion qui aboutissent à la supercherie naissent de la précipitation et des certitudes sans fondement. C’est la raison pour laquelle l’espace du Mémorial Modibo KEITA ambitionne d’être un exemple en matière de méthodologie. La collecte des archives sonores, visuelles, écrites de l’époque, l’exploitation des documents de toutes natures, I’audition des témoignages doivent s’accompagner d’un débat démocratique de fond, nécessaire aujourd’hui, pour dessiner les contours d’une approche crédible des enjeux de l’époque. Enjeux de la lutte anti-coloniale bien sûr, mais aussi enjeux et contours de la construction du jeune état malien au milieu des résistances endogènes et exogènes, des blocages, des erreurs d’option, des dérives mêmes, mais aussi diagnostic des succès appréciables d’un peuple et de ses dirigeants pétris de vertus et de ténacité. Il s’agit en somme, Camarades, de reconstruire patiemment le passé pour mieux construire l’avenir. Nous voulons en effet que le Mémorial Modibo KEITA soit une passerelle entre le passé et l’avenir, parce qu’il est temps que nous nous souvenions que si l’indépendance a posé la souveraineté nationale, il s’écoulera bientôt un demi siècle que nous n’ayons accédé à la reconnaissance internationale par la part dont l’Afrique peut se prévaloir au plan économique, commercial et culturel. I1 se pose à nous d’assumer notre devoir de génération à la suite des pères de l’indépendance, mais seuls des débats francs et féconds seraient à même de nous rendre intelligibles les points d’ancrage de nos combats, leurs différences d’approche ou leurs similitudes, tant il est vrai qu’hier comme surtout aujourd’hui, aucune approche n’est superflue pour contribuer à l’épanouissement de nos sociétés. Le Mémorial est donc, au sens fort, ce Temple du débat démocratique que nous offrons à l’espace politique malien, africain pour dessiner les contours de nos consensus et examiner le fonds de nos divergences par le libre exercice de la pensée. Le Mémorial reste à être constitué, parce que ce matin nous n’avons fait que découvrir le Monument. Ces lieux de rencontres et d’échanges ( car il y en aura d’autres) nous semblent incontournables en démocratie où la valeur première réside dans le brassage des idées. Camarades, Si j’ai insisté sur la fonction du Mémorial en tant qu’outil pédagogique d’appropriation de notre Histoire, il va sans dire que notre mémoire collective qui est le réceptacle de cette Histoire magnifie, elle, le parcours des figures illustres qui ont fortement marqué sa sensibilité. Il n’est pas superflu, à l’heure où une certaine pensée unique aliène nos consciences; il n’est pas superflu, dis-je, de revisiter cette période exceptionnelle où des circonstances singulières ont permis de bâtir des vertus comme le civisme, le patriotisme, le désintéressement et une foi inébranlable dans le destin de nos cultures et de nos sociétés. Il est temps, en cette période de pessimisme et de découragement qui s’amplifie de toute absence de repères pour notre jeunesse, quelles que soient les épreuves du moment, de lui rappeler le sens élevé du sacrifice qui a servi de bréviaire aux bâtisseurs de la Nation Africaine. Sans céder, comme je l’ai dit au culte de la personnalité, il est temps de reconstituer le panthéon de ceux dont notre destin commun se réclame, afin qu’ils servent de balises aux chemins d’avenir. Mesdames et Messieurs, Camarades, C’est tout le sens de cette journée de témoignages autour de l’oeuvre et de la vie de l’un des plus illustres fils de l’Afrique. Face à cet aréopage de personnalités qui l’ont côtoyé au quotidien comme à l’heure des plus grands événements de sa vie, vous conviendrez que la simple modestie commande que j’apprenne comme tout autre les facettes inédites du personnage, hors le discours consacré. Ce symposium a également pour mérite d’exhumer, pour les générations actuelles, les convictions d’une autre époque: celles où l’Afrique indépendante cultiva, sous la houlette de quelques visionnaires (Modibo KEITA, Kwame N’KRUMAH, Gamal Abdel NASSER), I’idéologie du panafricanisme comme socle de la renaissance africaine. J’ai simplement plaisir à rappeler qu’en 1963, dans l’Africa Hall d’Addis-Abeba, Modibo fut seul, parmi 31 Chefs d’État à annoncer à ses pairs le contenu de l’article 48 de la Constitution du Mali qui prescrivait l’abandon partiel ou total de souveraineté au profit de toute construction africaine viable. Je le rappelle avec d’autant plus d’émotion que cette disposition constitutionnelle a survécu à tous les changements politiques du Mali indépendant, au point de figurer à présent dans le serment du Président de la République. Mesdames et Messieurs, Camarades, Que jamais donc, notre peuple ne soit pris en défaut de solidarité africaine vis à vis des peuples en quête de paix, que pour toujours le Mali soit le pays de tous les africains qui l’auront choisi et plus particulièrement ceux qui sont dans la peine, pas simplement une terre d’asile ou de réfugiés à l’international, mais le pays, notre commun pays. Pour ce faire nous prions aussi toujours. Notre prière de tous les matins et de tous les soirs: » Mon Dieu faites, qu’en chaque malienne, qu’en chaque malien, Il y ait toujours un regard pour l’autre, Une écoute pour l’autre, Une parole pour l’autre, Une acceptation de l’autre, Une tendresse de l’autre, Le besoin de l’autre, Le respect de l’autre, L’amour de l’autre. Un cœur ouvert et limpide pour l’autre, Un bon esprit pour l’autre, Une pensée pour l’autre, Une patience pour l’autre, Une prière pour l’autre, Le petit geste pour l’autre, La paix pour l’autre, Des promesses pour l’autre. Mon Dieu, faites en sorte que chez chaque malienne et que chez chaque malien il y ait toujours la place de l’autre, la part de l’autre. Que nos mères et nos pères, que nos frères et nos sœurs, que nos filles et nos fils trouvent toujours place en nous, chez nous. Que de nos efforts et de nos sacrifices le Mali soit bâti. Ce Mali que Modibo KEITA chérissait tant au point de confondre ses propres qualités avec celles de tous les maliens et de toutes les maliennes. Mesdames et Messieurs, Camarades, Nous serons toujours reconnaissants à l’endroit de l’époux, de Mariam TRAVELE et de ses sœurs. Nous serons toujours reconnaissants à l’endroit du père de Hatoumata SOUCKO, et de son cousin Souleymane KEITA. Nous serons toujours reconnaissants à Modibo KEITA et à ses compagnons de l’Union Soudanaise RDA d’avoir donné à notre pays un nom, son nom, un titre, son titre, d’avoir sauvé en son temps l’honneur et la dignité du Mali et de l’Afrique. Camarades, Nous n’oublierons jamais aussi, que Modibo KEITA a su prévenir toutes répressions contre le parti malien du travail convaincu de l’engagement patriotique des militants de cette formation. Nous serons ainsi nombreux à témoigner aussi à côté du doyen Abdrahamane TOURE de l’action des » militants de l’ombre « , à rétablir leur image. Parce que jamais ils n’ont mené un combat déloyal ! Nous témoignerons pour nos camarades de divers horizons précocement morts: Ousmane DIARRA, Marie BERNARD, Ibrahima LY, Abdoulaye BARRY entre autres. C’est en grande partie de leur sacrifice, de leur action que jaillira l’aurore quand s’allongera la nuit. Mais au delà de la reconnaissance, Camarades, l’essentiel n’est pas seulement de créer un consensus autour de la personne, mais de créer aussi un consensus autour des valeurs qu’il incarnait, sa rigueur morale, son intégrité, son amour ardent du travail, du travail bien fait, son sens élevé du devoir, valeurs qu’il nous a léguées et qui ont fait comme il aimait à le dire lui-même » du Mali nouveau un digne héritier du Mali ancien « . Pétries de valeurs, nous devons ce nous semble libérer et appuyer les initiatives économiques individuelles et collectives dans le cadre d’une économie de marché sur une base de solidarité et de justice. Notre combat doit être celui d’un état de droit scrupuleux des droits de l’homme, d’un Mali uni, pluriel et divers, d’un Mali de non violence réconcilié avec lui-même mais avec sa mémoire, toujours tolérant pour tous ceux qui dans l’humilité reconnaissent leurs fautes et erreurs, et respectent notre peuple dans ses douleurs et ses souffrances, d’un Mali jamais désespéré de ses enfants, jamais désespéré de l’homme. Pour une telle entreprise, pour accomplir une telle tâche de génération comme en 1946, comme en 1960, comme en 1991 nous devons comprendre que seul un véritable front de démocrates et de patriotes peut réaliser le plus rapidement et durablement le changement, un changement équitable et non exclusif et nous ne devons jamais nous lasser de répéter à la suite de nos aînés, dans cette action, ces phrases du poète, je cite: » Si tu peux voir détruire l’ouvrage de ta vie et sans dire un mot, te meure à rebâtir, Ou perdre en un seul coup, le gain de cent parties sans un geste et sans un soupir Si tu peux être amant sans être fou d’amour, Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre, Et te sentant haï sans haïr à ton tour, Pourtant lutter et te défendre, Si tu peux supporter d’entendre tes paroles travesties par des gueux pour exciter des sots Et d’entendre mentir sur toi, leurs bouches folles sans mentir toi même d’un mot, Si tu peux rester digne en étant populaire Si tu peux rester peuple en conseillant les Rois Si tu peux aimer tous tes amis en frère sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi, Si tu sais observer, méditer et connaître sans jamais devenir sceptique ou destructeur rêver, mais jamais laisser ton rêve être ton maître, penser sans n’être qu’un penseur, Si tu peux être dur sans jamais être en rage Si tu peux être brave et jamais imprudent Si tu sais être bon, Si tu sais être sage, Si tu sais être moral ni pédant, Si tu peux rencontrer triomphe après défaite Et recevoir ces deux menteurs d’un même front, Si tu peux conserver ton courage et ta tête, Quand tous les autres les perdront, Alors les Rois, les dieux, la chance et la victoire seront à tout jamais tes esclaves soumis, Et ce qui vaut bien mieux que les rois et la gloire Tu seras un Homme, mon fils. » Mesdames et Messieurs, Camarades, Gloire éternelle au secrétaire général de l’Union Soudanaise RDA. Que Dieu continue de veiller sur Modibo KEITA ! Qu’il préserve le Mali dans ses épreuves ! Je déclare ouvert le Symposium Modibo KEITA. Je vous remercie.
M. DABA KEITA ancien ministre de Modibo Keita :
“Le président Modibo Keita reste dans ma mémoire comme un chef de gouvernement scrupuleusement respectueux de la dignité de ses ministres, exigeant d’eux l’affirmation d’un haut degré de personnalité… Il recevait en tête à tête, sans témoin, le citoyen malien qui demandait audience, et presque toujours, il l’apaisait grâce à la force de conviction que lui conférait sa grande et profonde sincérité… Il a toujours tendu la main pour relever le compagnon de route qui tombe.”
Le journal « JEUNE AFRIQUE « commentant » le coup d’Etat du 19/11/1968 :
« Il (Modibo Keita) sait lutter pour ses convictions, avec patience et méthode…le prestige moral qu’il a apporté à son pays est considérable. Dans les instances interafricaines, sa parole a du poids… Il se conduisait sans complexe avec les dirigeants des pays de l’Est ou de l’Ouest qui venaient proposer de l’aide à son pays. Avec Modibo à la tête du pays aucun compromis n’était possible en ce qui concerne la souveraineté, de cela, nous sommes surs. Seuls entrait en ligne de compte l’intérêt du Mali… en tout cas quoi qu’il arrive à présent, Modibo restera aux yeux de la génération d’africains dont nous sommes ce qu’il a été.: Un homme politique incorruptible ».
ROBERT HUE ex secrétaire général du Parti Communiste Français :
« Évoquer ce combat contre le colonialisme … conduit d’emblée à évoquer des hommes qui ont joué dans cette histoire un grand rôle. Parmi eux, bien sûr, ces militants africains qui devinrent des figures marquantes de ce que l’on appelait le » tiers monde » aux lendemains de la seconde guerre mondiale. Je pense évidemment, et tout particulièrement, à Modibo Keita, à bien des égards symbole de dignité, de lucidité et de courage. Sa vision progressiste et son attachement viscéral à l’indépendance, à la justice sociale, et à l’unité africaine restent pour beaucoup un repère, et prennent dans la situation d’aujourd’hui une singulière résonance.»
Le journal « LE MONDE » , dans un article publié le 19/05/1977 :
« Modibo Keita, ce nationaliste combatif et tenace entré fort jeune dans l’arène politique, fut … un homme respecté par ses compatriotes et écouté sur la scène internationale. Sa distinction, son autorité naturelle et souriante, avaient plu au général de Gaulle. … Il peut être considéré comme l’un des grands dirigeants de l’Afrique noire « révolutionnaire » telle quelle existait au lendemain des années 60.»
Notes de Renvoi : (1) : Bakari Dian était un preux chevalier légendaire d’origine modeste qui devint l’un des plus grands chefs de guerre du royaume de Ségou. Bakari Dian fut le mythique héros qui a vaincu (tout seul) le terrible BILISSI qui tyrannisait la population de Ségou.